Un été, seule avec mes Grands-parents. Neuf ans et presque toutes mes dents.

Sauf, malheureusement, Celle de devant : Incisive Centrale Gauche !
Définitive, elle l’était, mais définitivement cassée, elle le resterait donc à jamais…
Avec quoi, allais-je croquer la vie ? Question centrale, pour un départ plutôt gauche…

Qui d’autre, qu’une Grand-mère nommée Madeleine,
pouvait prétendre à autant de tendresse et de moelleux que son prénom,
pour, envers cette dent, montrer tant de compassion.

Son argument ? Ma collation !

Sur ses ordres au Patron, détour, chaque jour, durant tout mon séjour
À la boulangerie !
Pour se procurer une brioche, bien fraîche du jour, et le sentiment d’un devoir accompli.

Risquer de me réveiller une douleur à la mastication était pour elle hors de question ! Trancher, déchirer, mastiquer, peu importe, tout était raison.

Qui s’est déjà cassé une dent, le sait bien,
la douleur n’est pas tant dans celle-ci,
mais plutôt dans son amour propre d’avoir son image alors ternie.

Oui, cette brioche quotidienne, était si légère et si tendre,
comme l’effet d’un traitement prescrit,
pour atténuer la souffrance, dans mon petit cœur, déjà bien meurtri.

Pourtant, de petite à aujourd’hui, je n’ai jamais trouvé dans la brioche un goût exquis.
Mais vous pensez bien ?! Je ne l’ai jamais dit !!!
C’était si bon d’honorer cette collation sous le regard d’une Grand-mère, sur mon sort, attendrie.

Tant de commisération relève d’un sens aigu de sensibilité, d’humanité et de générosité.

À travers elle, et ses si nobles qualités,
j’ai pu certainement, le temps d’un été avant la rentrée,
commencer à me reconstruire
et retrouver peu à peu le sourire,
qui m’avait bien manqué.

Aujourd’hui, à trente-cinq ans, et « apparemment » toutes mes dents, elle vient de nous quitter.

De Proust à Dolto, mes sentiments sont si mitigés.

Sourire de côté, tristesse régnante, il faut maintenant affronter, seule d’elle, la vie.

En espérant, un jour, pouvoir à mon tour, rendre le sourire à un Enfant-Petit ;
à l’exemple de ce que ma si douce Grand-mère m’a légué et transmis.

Fanny Maceli

Ecrit dans la nuit du Jeudi 16 Mai 2013